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Réapprendre à créer des liens après un décès : le récit de Julie

02 novembre 2023
Temps de lecture: 3 min

Au décès d’un proche, on perd non seulement un être cher, mais souvent aussi une part de nous-même et des relations avec notre entourage. Lors d’un entretien avec Ann Costermans, conseillère en matière de deuil et de perte chez DELA, Julie s’est confiée sur la quête d’elle-même qu’elle a menée après la disparition de Marie, sa fille de trois ans.

Donner du sens à la vie après un décès

Ann Costermans, conseillère en matière de deuil et de perte chez DELA : « Quand on perd une personne avec qui on entretenait des liens étroits, cela nous touche profondément et peut affecter ou remettre en question certaines relations. »

  • Qu’advient-il de la relation avec la personne décédée maintenant qu’elle n’est plus là physiquement ?
  • Quel impact ce décès a-t-il sur mes relations avec les gens qui m’entourent, comme mon (ma) conjoint(e), mes enfants, ma famille et mes amis ?
  • Que reste-t-il de moi après cette perte ?

Après tout décès, il faut recréer des liens : avec nous-même, avec la personne décédée et avec notre entourage. Julie est passée par là après le décès de sa fille Marie, alors âgée de trois ans.

Comment faire face à la perte d’un enfant ?

Julie : « Le jour où Marie est décédée, une part de moi est morte aussi. Une part de la maman, de la fille, de la conjointe, de l’amie et de la sœur que j’étais. » Après la mort de Marie, Julie a complètement remis en question sa raison d’être. Elle avait l’impression de ne plus être à sa place nulle part. Elle a été très dure envers elle-même : « Si je ne suis pas capable de sauver ma propre fille, à quoi bon ? »

Julie s’est alors lancée dans une quête désespérée d’elle-même et du sens de sa vie. Une quête de cinq ans durant laquelle elle a opéré un grand nettoyage dans son for intérieur et qui l’a rapprochée de ses passions : le contact humain, la peinture, les livres… et le « We Love Mariefonds » qu’elle a créé après le décès de Marie.

Le conseil de Julie ? « Cherchez ce pour quoi vous êtes doué(e). Quelque chose qui vous rend spécial(e) et que vous êtes le (la) seul(e) à pouvoir faire. Cherchez aussi ce qui vous passionne, les choses qui vous donnent véritablement l’impression d’être en vie. Marie m’a incitée à être moi-même. Cela n’a pas été une mince affaire, car la démarche implique de lâcher prise et de se montrer vulnérable. J’aimerais d’ailleurs remplacer le mot “deuil” par les termes “évolution” ou “vie”. Une évolution vers le véritable moi, en moi, par moi et, surtout, pour moi. »

Épanouissement personnel

Plusieurs années après le décès de sa fille, Julie ne s’attache plus tant au matériel. Elle sait que Marie est encore là et qu’elle continue de vivre à travers les souvenirs de beaucoup de personnes. « Marie est bien plus que son corps. Elle a beau ne plus être là physiquement, au fond de moi, je sens encore sa présence. C’est un peu comparable au sentiment d’amour, qui ne se voit pas non plus à l’œil nu. »

« Tout ce que j’ai vécu m’a permis d’avancer. Si vous êtes convaincu(e) que tout dans la vie a une raison d’être, même les choses les plus horribles sont source d’évolution. La disparition de Marie m’a ainsi permis d’être plus authentique, plus intègre et plus affectueuse, et d’oser être davantage moi-même : Julie. Elle m’a fait comprendre à quel point les gens sont résilients. Elle m’a fait sentir que l’amour transcende la mort. »

- Julie, maman de Marie (3 ans)

La place du deuil dans le couple

Chaque processus de deuil étant unique, il se peut que les conjoints vivent leur deuil de manière très différente, même si le chagrin est aussi grand pour l’un que pour l’autre. Le manque de compréhension du mode de deuil de l’autre et le manque de communication à ce sujet peuvent créer une certaine distance.

Julie et son mari se sont tellement éloignés à un moment donné qu’ils ne savaient même plus pourquoi ils étaient ensemble. Les disputes les ont obligés à exprimer clairement leurs besoins. Ils savent désormais parfaitement ce que l’autre attend.

« Quel cadeau que de pouvoir traverser cette épreuve ensemble ! Pleurer ensemble, comprendre ensemble que nous n’avons pas à faire face seuls. L’impuissance et la tristesse nous ont poussés à écrire un nouveau chapitre de notre histoire. Une histoire d’espoir, de solidarité, de vulnérabilité et de force. Une histoire qui nous appartient. Une histoire que nous avons vécue, revécue, expérimentée et traversée. »

Julie et son conjoint continuent aujourd’hui à entretenir ce lien qui les unit, et la curiosité et l’amour qu’ils se portent ne cessent de croître.

La perte du lien avec les autres

Une disparition peut également avoir un impact considérable sur les relations familiales et amicales, et venir semer le trouble entre les individus. Par exemple lorsque l’un porte un jugement sur la manière dont l’autre fait son deuil (trop rapidement, trop lentement, trop longtemps). Le meilleur moyen de se soutenir mutuellement est de se montrer à l’écoute et de s’adapter aux besoins de la personne endeuillée.

Au cours de sa période de deuil, Julie a eu la chance d’être entourée par sa famille et ses amis, qui ont été présents même dans les moments de profonde tristesse. Et qui lui ont appris qu’il n’était pas nécessaire d’aller bien pour constituer un repère pour les autres.

Ann Costermans : « Même s’il faut parfois du temps pour en arriver là, oser demander de l’aide est une belle preuve de courage de la part d’une personne endeuillée. Les contacts avec d’autres personnes endeuillées, par exemple au sein de groupes de soutien, permettent d’apprendre énormément les uns des autres. On pense souvent que notre chagrin est un fardeau pour les autres, mais faire son deuil ensemble peut être extrêmement fédérateur. »

Julie : « J’ai très souvent eu envie de hurler d’impuissance en voiture. Cela peut faire du bien. Mais pourquoi devrions-nous le faire seuls au volant ? Même à ce moment, nous nous préoccupons toujours des autres. Que vont-ils penser ou dire ? Le fait de le faire à plusieurs peut avoir un effet très libérateur. »

Julie se montre désormais encore plus attentive à ses proches. Elle n’hésite plus à leur dire combien elle les aime, en quoi ils embellissent sa vie et à quel point ils la rendent heureuse. Après tout, les souvenirs de demain se créent aujourd’hui.