Ann Costermans, conseillère en matière de deuil et de perte chez DELA, a pris la mesure de l’impact d’une perte quand sa sœur est décédée à la naissance. Le deuil de la maman d’Ann a conditionné sa vie, leur relation et la manière dont Ann a à son tour fait son deuil à la mort de sa mère.
Ann avait 5 ans à la naissance de sa sœur Marlies. Mais la joie de la famille a rapidement fait place au désespoir et à la tristesse : Marlies est décédée après deux jours. « Maman n’a pas pu revoir sa fille et nous n’avions pas de photos. C’était comme ça dans les années ’70. Après l’enterrement, on a rangé le berceau et toutes les affaires de bébé qu’on avait à la maison. On n’a pratiquement pas évoqué Marlies les années suivantes. Avec le recul, je me rends compte que maman n’a pas pu compter sur le soutien de son entourage pour intégrer cette perte dans sa vie. Elle s’est retrouvée seule ; ça a dû être extrêmement difficile. Le seul signe physique de la courte existence de Marlies était sa petite tombe au cimetière. On s’y rendait avec papa et maman à la Toussaint et je l’entretiens encore avec amour aujourd’hui. »
Après la mort de Marlies, sa mère a commencé à se faire de plus en plus de soucis pour sa famille. « Elle a passé le reste de sa vie à s’assurer qu’il ne nous arrive rien, à mon père et à moi. C’était comme une mission. Elle s’est notamment prise de passion pour la médecine alternative et l’alimentation biologique. Il fallait du cran pour oser manger du sucre en sa présence. Et encore plus pour faire l’éloge de la médecine classique devant elle. »
Ce comportement a viré à l’excès au fil du temps. « Elle m’a mise sous cloche. La cloche est restée et est même devenue plus étroite, surtout après le décès de papa. Cette attitude a eu un énorme impact sur ma vie personnelle, sur notre relation mère-fille et sur mon processus de deuil après la mort de maman en 2017. À l’époque, j’étais très en colère. Une colère due au manque de liberté et aux occasions manquées. Mais j’étais aussi très triste, parce que j’avais l’impression que cette colère m’empêchait d’aimer maman pleinement. »
Ann a suivi une formation de conseillère en matière de deuil et de perte en 2021. Les connaissances et les informations sur le deuil l’ont beaucoup aidée.
« On m’a expliqué l’importance du lien immuable avec le défunt après le décès, mais je ne pouvais pas l’appliquer à Marlies. Comment une sœur pourrait-elle avoir un lien avec une personne qu’elle n’a jamais vue ni connue et dont on ne lui a pratiquement jamais parlé ? Une autre étudiante qui avait elle-même perdu un bébé m’a expliqué que la durée n’avait pas d’importance. Ce qui compte, c’est ce que le bébé représente pour vous et l’amour que vous lui portez. C’est très étrange, mais depuis, j’entretiens le lien qui m’unit à ma sœur, même si je ne l’ai jamais vue ni connue. Je lui parle dans mes pensées, je lui demande parfois de l’aide et des conseils et je la porte dans mon cœur. En parlant le plus possible d’elle et de ce qu’elle représentait pour moi, je lui donne une raison d’être. Je suis infiniment reconnaissante à cette étudiante de m’avoir fait part de son expérience. »
Ces nouvelles connaissances ont aussi dissipé la colère qu’Ann avait ressentie au début.
« Je me suis tant bien que mal plongée dans la littérature sur le deuil. Un jour, j’ai découvert le livre "Samen Verder na het verlies van een kind" de Beate Matznetter. Beate et son mari Jan ont perdu un bébé, Jorin. Beate témoigne : "Jan et moi pensons que la vie aurait été beaucoup plus simple pour notre autre fils si son frère jumeau n’était pas décédé. Il ne serait pas devenu à ce point la "prunelle de nos yeux". Nous l’avons trop protégé, trop contrôlé, trop aidé. Les autres membres de la famille souffrent aussi quand toute l’attention se porte sur un enfant, considéré comme celui qui a perdu le plus. Ils ont l’impression (à juste titre) d’être livrés à eux-mêmes. Ou ils ont simplement envie de parler d’autre chose. J’ai aussi eu et j’ai toujours tendance à surprotéger mon mari, à vouloir l’aider, à lui accorder plus d’attention. Je voulais et je veux qu’il mène une vie saine et qu’il ne prenne pas trop de risques. Il y voit évidemment une forme de contrôle. Et il déteste ça. Qui ne détesterait pas ? C’est le combat quotidien de bien d’autres hommes et femmes dans leur relation de couple, mais je suis certaine que c’est encore plus le cas chez nous depuis la mort de Jorin."
Ce passage a rétabli d’un seul coup le lien avec maman. J’ai subitement compris beaucoup de choses. Sa souffrance et sa manière d’essayer de faire face à la perte. Lui pardonner est devenu une évidence et mon amour pour elle a rejailli. Par-delà la mort. »